Ma rentrée atypique : Un nouveau départ au cœur de la ruralité

Un article proposé par Béatrice, Prof Doc à SJlB (Valréas) @BCollombProfDoc

Depuis septembre, ma vie professionnelle a pris un tournant inespéré et surprenant. Après 30 ans d’expérience en tant que professeur documentaliste dans des établissements plus ou moins renommés de Marseille, j’ai demandé une mutation, loin de la ville, pour des raisons personnelles. J’ai été nommée dans un petit établissement rural qui se débat avec des défis financiers, humains et géographiques. Là où j’ai passé la majeure partie de ma carrière à côtoyer des élèves socialement « privilégiés », je me retrouve maintenant face à une réalité radicalement différente.

L’établissement se situe dans l’enclave du Vaucluse, une zone géographique appartenant au département de la Drôme. Cette enclave est sous la juridiction de l’académie d’Aix-Marseille, bien qu’elle soit située dans l’académie de Rhône-Alpes. Cette particularité géographique explique en grande partie les défis auxquels l’établissement est confronté, notamment en ce qui concerne le recrutement d’élèves et d’enseignants, ainsi que l’accès aux ressources culturelles et artistiques.

L’établissement est composé de cinq unités scolaires réparties sur trois lieux distincts et accueille 499 élèves.

Le poste de professeur documentaliste est resté vacant pendant presque une décennie, à la suite du départ à la retraite du professeur documentaliste titulaire : un professionnel chevronné, innovant et expérimenté. En raison du déficit de candidats pour le poste, d’aucune demande de mutation et d’un nombre limité de candidats prêts à s’installer dans une zone rurale éloignée du centre de formation (Marseille / Aix), la décision a été prise de réduire la charge horaire du poste à un mi-temps, le laissant ainsi à la charge d’enseignants en complément à un temps partiel disciplinaire, sans connaissances ni formation préalable, sans accompagnement pour gérer les fonctions du CDI, autant dire que la tâche est devenue quasi insurmontable. Malgré la bonne volonté de toutes les parties impliquées, le CDI a été négligé, avec une absence totale de gestion documentaire et d’animation pédagogique. Cette situation a engendré des activités sporadiques, sans structure et dépourvues d’objectifs documentaires clairs. Le professeur documentaliste tel qu’il a été connu dans son passé, manque à l’équipe qui désespère à former les élèves à une Éducation aux Médias et à l’Information. Dans ce contexte, ma demande de mutation et mon arrivée, bien que perçues comme étonnantes et mal comprises, sont apparues comme un véritable miracle pour l’établissement. Le chef d’établissement y voit l’opportunité d’introduire une « professionnelle qui guidera l’établissement vers le XXIe siècle », tant au niveau du numérique qu’au niveau de l’EMI et l’esprit critique. Cette reconnaissance s’accompagne d’une lourde responsabilité, mais constitue également un défi passionnant à relever.

Je suis enthousiasmée par la perspective d’apporter mon expérience et mes compétences professionnelles pour aider cette communauté éducative à surmonter ses difficultés. Cette situation m’a permis de mettre en évidence le rôle crucial des professeurs documentalistes dans la reconnaissance de leurs compétences professionnelles indéniables. Elle souligne la nécessité de reconnaître les professeurs documentalistes certifiés en tant qu’enseignants à part entière, des professionnels spécialisés, et de leur accorder la reconnaissance et les avantages qui leur sont dus, en écho aux mouvements « Prof Doc en colère, » « Prof en colère, » et « Pas devant élève donc pas de prime informatique. »

Ce qui rend ma réflexion et ma rentrée encore plus spéciale, c’est le fait que je ne suis pas seulement professeur documentaliste. J’ai également été affectée à un mi-temps d’enseignement en histoire-géographie, ma discipline « d’origine ».

Les quelques heures d’enseignement en histoire-géographie que j’assure (demi-poste en classe de 6ème) ont été exceptionnellement acceptées, sous réserve d’une inspection de l’IPR pour évaluer la mise en œuvre des programmes. Une démarche appropriée qui garantit la qualité de l’enseignement. Cela me semble tout à fait normal et rassurant.

Cependant, cette situation soulève une question importante : pourquoi l’inverse n’est-il pas appliqué de manière réciproque ? Pourquoi est-il permis à un enseignant disciplinaire de prendre un complément de poste en tant que professeur documentaliste sans recevoir de formation, sans accompagnement, et sans vérification de sa connaissance des missions des professeurs documentalistes ? Cela ne soulève-t-il pas des questions sur l’équité et la cohérence dans les pratiques d’affectation, dans la reconnaissance professionnelle des Professeurs Documentaliste. Il pourrait être judicieux de sensibiliser les établissements, les académies, les rectorats à cette incohérence et de proposer des mesures pour assurer que tous les compléments de poste, quelle que soit leur nature, et plus particulièrement en Documentation, soient soumis à des normes de compétence et de formation similaires. Cela contribuerait à garantir un enseignement de qualité et à maintenir des normes professionnelles élevées pour tous les enseignants, quelle que soit leur discipline.

Cette double fonction me permet de bénéficier d’une opportunité exceptionnelle d’interagir plus intensément avec les élèves et de collaborer de manière étroite pour développer les compétences d’éducation aux médias et à l’information (EMI) dans le cadre de la mise en œuvre du programme d’Histoire-Géographie et Enseignement Moral et Civique (HGEMC). C’est un rêve devenu réalité, une collaboration étroite entre le professeur documentaliste et le professeur d’histoire-géographie, visant à offrir aux élèves une formation optimale en recherche documentaire et en traitement de l’information.

Ce changement radical dans ma carrière m’a également fait réaliser à quel point la reconnaissance de mes compétences professionnelles est précieuse. Là où j’ai passé des années à Marseille à être « la prof doc » militante, en manque de reconnaissance et sans cesse à la recherche de légitimité, je suis maintenant « professeur documentaliste » attendue, reconnue et légitime, une enseignante prête à partager son savoir, ses compétences et à aider au développement de la communauté éducative.

Transformer un CDI oublié en un espace d’exploration et de découverte

La rentrée scolaire dans mon nouvel établissement rural a été marquée par un défi de taille : le CDI, laissé à l’abandon depuis plus de dix ans, nécessitait une transformation en profondeur.

Le premier obstacle auquel j’ai dû faire face était l’état désorganisé du CDI. Après plusieurs déménagements, le fonds documentaire, en partie obsolète (derniers abonnements datant de 2018) était éparpillé dans tout l’établissement, le peu, présent au CDI était « rangé là où il y avait de la place sur les étagères », et cerise sur le gâteau, le logiciel de gestion autrefois utilisé par mon collègue, inaccessible car plus aucun souvenir de l’ordinateur utilisé. Mon premier objectif était donc de réorganiser l’espace du CDI, retrouver une base documentaire et un outil de gestion pertinent tout en faisant connaître ses fonctions et les missions du professeur documentaliste.

Pour accomplir cela, je me suis inspirée d’une idée de « Dolo Jicbo » du 20/09/23, trouvée sur Facebook, sur le groupe des « Profs docs et licornes : entraide entre profs docs », mené pour elle en lycée. (au passage je la remercie à nouveau pour cette inspiration et son autorisation de ré-utilisation)« , qui consistait à inviter les élèves et les enseignants à découvrir le CDI comme s’il s’agissait d’une randonnée. Le CDI est situé au sommet d’un bâtiment, au dernier étage, offrant une vue panoramique spectaculaire.

Comme il m’était impossible de présenter le CDI comme un lieu organisé dès les premières semaines, je n’avais ni le temps ni les moyens, j’ai donc présenté le CDI comme un espace à conquérir, en utilisant des figures de style : les différents espaces du CDI sont représentés comme des « étapes » de randonnées. L’idée était de définir les différents (futurs) espaces du CDI, faire découvrir aux utilisateurs les différents objectifs d’un CDI et permettre à la communauté éducative de réfléchir sur les fonctions du CDI, les activités qu’on peut y mener, et les besoins pour en tirer le meilleur parti afin de définir collectivement le CDI approprié à l’Établissement.

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Le sentier de découverte :
Orientation

La route des savoirs :
Documentaires

Le bivouac de l’évasion :
Fictions

Le chemin connecté :
espace informatique

Le cirque des langues :
Les enseignants de langue s’étaient appropriés un « English corner » au CDI pour y faire des ateliers. Je l’ai conservé
Le repère des apprentissages :
Manuels scolaires

La cascade des grands esprits :
espace d’entraide, travail de groupe

Le point de vue actu :
Périodiques

La traversée culturelle :
Expositions

La canopée :
Bibliothèque pédagogique des enseignants

La clairière ludique : Ludothèque

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Cette approche a immédiatement suscité l’intérêt d’un enseignant, qui a décidé de se joindre à cette aventure. Quatre classes sur huit ont accepté mon invitation à visiter le CDI et à découvrir ses potentialités. De plus, un autre enseignant s’est porté volontaire pour créer la signalétique, ajoutant ainsi une touche personnelle au projet tout en permettant à des élèves de s’approprier le CDI.

Le directeur adjoint de l’établissement a reconnu « la montagne » de travail à laquelle nous faisons face et a comparé ma motivation à celle qu’il faut pour «l’ascension de l’Everest». Cependant, plutôt que de découragement, j’ai trouvé dans ses paroles une note d’encouragement, une métaphore de l’effort nécessaire pour atteindre nos objectifs. Le chef d’établissement, ravi de « retrouver » un professeur documentaliste dans son établissement, m’a saluée en soulignant que nous sommes confrontés à « un véritable chantier » et se réjouit de me voir « imaginer » le CDI « comme une rando avec ses difficultés mais aussi les joies des paysages découverts ».

Bien que le CDI ne soit pas encore pleinement fonctionnel, le fait de savoir que je suis soutenue, comprise et reconnue par la direction de l’établissement et la communauté éducative m’inspire chaque jour. La métaphore de l’ascension de l’Everest résume parfaitement ma vision de cette année scolaire (bien que j’avais plus imaginé l’ascension du Mont Ventoux !!!) : une aventure parsemée de défis et de découvertes, mais surtout, une source d’inspiration et de motivation.

Persévérance et Détermination : La Négociation de la Modernisation du CDI

Dès la rentrée et ma prise de fonction au CDI, j’ai été confrontée à un premier défi majeur : négocier l’achat d’un outil de gestion de base de données, en particulier BCDI, et mettre en place le portail Esidoc. Sur le minuscule bureau destiné au prof doc, se trouvait un ordinateur ! C’était un bon début, mais il y avait un obstacle de taille : le mot de passe… Personne ne semblait connaître ce précieux sésame.

Déterminée à résoudre ce mystère, j’ai consacré 15 jours à mener l’enquête, à interroger les collègues et à fouiller partout pour trouver des indices qui me conduiraient à la réponse. La fouille était rapide puisqu’il n’y avait aucune trace de passage d’un professeur documentaliste dans ce CDI ! Les tiroirs vides, aucun matériel, pas même de petits ciseaux ou de scotch, aucun bon de commandes, aucun cahier de bord, ou de prêts ! C’était sans compter avec ma ténacité, et point positif, j’ai pu aborder de nombreux enseignants à la recherche du fameux sésame… J’avais l’impression de jouer à un escape Game !!! J’ai enfin découvert le protocole de mise en marche de cette précieuse machine grâce aux bouches à oreille et hypothèse de mot de passe !

Alors, le nouveau défi est apparu lorsque j’ai constaté que la dernière trace d’utilisation du « vieux » BCDI remontait à juin 2018. Pour certains, cela aurait pu être décourageant, pour moi : « Même pas peur ! » Un bon inventaire, désherbage… et me voilà occupée un bon bout de temps…

La prochaine étape a été d’entrer en contact avec CANOPE, de solliciter le service commercial, de préparer un devis solide et d’armer mes arguments pour négocier l’adoption de cet outil de gestion. Cependant, il y avait un obstacle imprévu : le lycée agricole en réseau avec l’établissement et appartenant à l’unité scolaire, disposait de son propre logiciel spécifique, alimentant un portail documentaire coopératif comprenant 21 établissements agricoles. Impensable de lâcher ce logiciel, cher au gestionnaire du lycée agricole. Le chef d’établissement organise alors un temps de concertation entre tous les acteurs des CDI(s) pour trouver une politique commune de gestion des CDI. Il souhaite « unir » les CDI pour donner une image documentaire commune aux 5 unités scolaires. Les négociations se sont avérées être un processus ardu et ont duré un mois.

Finalement, avec une détermination, mon pouvoir de persuasion, et un zeste d’imagination, j’ai proposé la création d’un portail documentaire personnalisé. Celui-ci offrirait à chaque unité scolaire un espace dédié et une visibilité distincte. Ma proposition a été acceptée, et le CDI a pris un grand pas en avant vers sa modernisation. À l’heure où j’écris cet article, le portail est en place… reste à l’alimenter et l’organiser…

Chaque espace correspondant à une unité scolaire, la base de données pointe vers le fonds documentaire du CDI collège, L’onglet Lycée agricole pointe vers « le l@c » : base documentaire du lycée agricole, le Lycée n’ayant pas encore de lieu spécifique bénéficiera d’un espace virtuel en lien avec les dispositifs lycée (Grand Oral, Parcours Sup, choix de spécialités… et des « Bookflix » maison à la demande des enseignants en fonction de leur projet et de leurs besoins d’informations.

Cette expérience m’a appris que la persévérance, la détermination et la créativité sont des atouts essentiels pour surmonter les obstacles. Même dans les situations les plus complexes, il est possible d’atteindre ses objectifs en restant résolument axé sur la mission. La danse du ventre n’est pas nécessaire, mais la satisfaction de surmonter les défis est inestimable.

Naviguer dans l’inconnu : Donner vie aux parcours éducatifs dans un nouvel environnement

Dès ma rentrée, deux missions pédagogiques m’ont été confiées, et inscrites dans mon emploi du temps : « Préparer les élèves de 3ème à l’oral du brevet » et initier les « parcours éducatifs » pour une classe de 4ème. On se rappelle…, je n’avais aucune connaissance préalable de l’établissement, de ses enseignants, ou de ses élèves.

Dans cette situation, j’ai décidé de proposer une réunion d’information pour les enseignants, une première prise de contact pour présenter mon rôle et discuter de la façon dont nous pourrions collaborer. Cette démarche a été accueillie avec enthousiasme et a permis de mieux comprendre les attentes et les besoins des enseignants.

Dans le cadre de la préparation à l’oral du brevet, j’ai travaillé en étroite collaboration avec les enseignants de 3ème pour concevoir des séances de préparation, en mettant l’accent sur le développement des compétences orales et sur la création de supports visuels percutants. La clé de cette collaboration a été la confiance mutuelle, le partage d’idées, et la reconnaissance de l’expertise de chacun.

 Pour les « parcours éducatifs » en 4ème, j’ai pris l’initiative de créer un parcours en Éducation aux Médias et à l’Information (EMI). Avec l’appui de l’enseignant de français, et Prof Principal de 4ème, nous avons élaboré un plan de travail pour permettre aux élèves d’explorer de manière autonome des thèmes liés aux médias, à la désinformation, et à l’esprit critique, travailler la compétence de l’oralité, et la découverte des formations et des métiers…

Ces deux expériences m’ont permis de constater à quel point la collaboration et la communication sont essentielles pour réussir dans un nouvel environnement. En naviguant dans l’inconnu, la volonté de travailler en équipe et de s’adapter aux besoins de l’établissement est cruciale pour accomplir les missions pédagogiques avec succès.

Conclusion

Ma rentrée scolaire atypique dans un établissement rural m’a confrontée à des défis uniques et m’a permis de prendre conscience de l’importance de la reconnaissance des compétences professionnelles des professeurs documentalistes. Mon expérience souligne également la nécessité d’assurer une cohérence dans les pratiques d’affectation des compléments de poste, quels que soient leur nature.

La transformation du CDI délaissé en un espace d’exploration et de découverte a commencé par la réorganisation de l’espace et par la sensibilisation de la communauté éducative. La persévérance et la détermination m’ont permis de négocier avec succès la modernisation du CDI, malgré les obstacles inattendus.

En naviguant dans l’inconnu, la communication et la collaboration avec les enseignants ont été essentielles pour donner vie aux parcours éducatifs et pour répondre aux besoins des élèves.

Bien que je sois encore en phase d’installation, de nouveaux projets fleurissent, parmi lesquels les « nuits de la lecture ». À en juger par l’enthousiasme qu’elles suscitent, ce projet semble promettre un succès mémorable d’une autre mission des profs doc… peut-être l’occasion d’un prochain article !

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